A São Paulo/SP, le 27 mars 2024
Monsieur le Président de la République Française,
Avant toute chose, nous vous souhaitons la bienvenue au Brésil. Seja bem-vindo ! Au nom de la communauté française du Brésil, que nous représentons dans ses trois circonscriptions consulaires, nous tenions à vous remettre cette lettre qui réunit bon nombre des préoccupations de nos compatriotes. Vous comprendrez bien que l’annonce des coupes budgétaires annoncées pour 2024 et 2025 et les réponses aux enjeux politiques régionaux et internationaux nous concernent et nous tiennent à cœur.
Coupes budgétaires : quand le service public meurt à grande vitesse pour les Français·es de l’étranger
Après la coupe de 10 milliards d’euros au budget de 2024, votre gouvernement vient d’annoncer 20 milliards d’austérité supplémentaire pour 2025, soit une réduction de 30 milliards d’euros d’ici les deux prochaines années.
En plénière à l’Assemblée des Français de l’Etranger (AFE) ce 18 mars dernier, votre ministre Franck Riester s’est voulu rassurant en ne parlant que de quelques 15 millions d’euros retenus sur les budgets de réserve, assurant qu’aucun poste d’agent ne sera supprimé. Cela est très inférieur à nos estimations d’un minimum de 174 millions d’euros d’annulation de crédits pour les programmes destinés aux communautés françaises, aux affaires consulaires, à la diplomatie culturelle, aux actions de la France en Europe et dans le monde. Nous attendons donc des réponses plus précises et une réelle attention à nos besoins.
Alors que le nombre de Français·es inscrit·es sur les registres consulaires a augmenté en 2023 de 4,3% et que les difficultés budgétaires se font déjà cruellement ressentir dans nos postes consulaires, vous conviendrez que cette décision est intenable.
Franck Riester a soutenu que « chacun doit faire des efforts » dans les moments de crise. Permettez-nous, monsieur le Président, de vous illustrer tous les « efforts » que nos compatriotes à l’étranger, ces rats de votre « laboratoire de dématérialisation des services publics » ont déjà réalisé depuis de nombreuses années. Savez-vous que :
– Sans disposer du contact personnel direct d’un agent du consulat, il est presque impossible de réaliser une démarche administrative dans des délais raisonnables.
– Les coûts de la santé au Brésil explosent (entre +18 à +29% en 2023) et l’offre de la CFE n’a pas encore prouvé son efficacité et accessibilité.
– Un·e Français·e résidant à l’étranger de plus de 75 ans n’a aucune autre alternative de couverture santé alors que les prestations de la CFE deviennent trop chères.
– Alors que la moyenne des frais d’écolage est en hausse, le nombre de bénéficiaires à 100% des bourses scolaires est paradoxalement en baisse de 52% en raison des rabotages systématiques réalisés en Commission Nationale des Bourses (CNB) au sempiternel prétexte que « chacun doit faire des efforts » !
– Dévaloriser l’indice de parité de pouvoir d’achat (IPPA) ou la contribution progressive de solidarité (CPS) provoque la fuite grinçante des familles françaises qui renoncent à inscrire leurs enfants dans un établissement français à l’étranger (EFE). Phénomène confirmé à l’échelle mondiale, puisqu’une baisse de 8% des demandeurs de bourse a été enregistrée lors de la dernière CNB (tenue fin janvier dernier). Franck Riester a cependant semblé se réjouir du soft power des lycées français pour les familles nationales (ie. des pays où se trouve l’EFE). Mais qu’en est-t-il pour les familles françaises ?
– Les entrepreneur·euse·s français·es à l’étranger (EFE) n’ont toujours pas de statut spécifique malgré leurs sollicitations répétées.
Sachez enfin que nous sommes toujours dans l’attente de la vente de la résidence de l’ambassadeur à Rio de Janeiro pour un montant d’au moins 2 millions d’euros. Des économies faciles pouvant assurer aux familles françaises du Brésil une bonne année de bourses scolaires, garantie sans coupe budgétaire !
Dans notre façon de concevoir le service public, les piliers sont la continuité, l’égalité de tous·tes et l’adaptabilité aux besoins des usagers.
Constitutionnalisation du droit à l’avortement : quid des Françaises du Brésil ?
Alors que vous avez pris l’initiative d´inscrire le droit à l´IVG dans notre Constitution, répondant à une demande pressante des collectifs féministes et du mouvement des femmes et mobilisant de façon extraordinaire l´ensemble de la société française, le débat sur la dépénalisation de l’avortement reste interdit au Brésil. Nombreuses organisations des droits des femmes viennent de saisir le Conseil des Droits Humains de l´ONU à Genève, pour dénoncer la violation du droit à l’IVG dans les cas prévus par la loi. La France doit non seulement envisager des moyens pour garantir l’accès à l’IVG pour les Françaises résidant au Brésil, en toute sécurité, mais également soutenir les mouvements des femmes brésiliennes qui militent quotidiennement pour faire obtenir la dépénalisation de l’avortement et sa pratique responsable et digne dans les cas prévus par la loi au Brésil.
Loi Immigration ou l’hypocrisie face à une crise de l’accueil des personnes
Monsieur le Président, le pays qui vous accueille aujourd’hui fait vivre une tradition d’accueil migratoire des plus progressistes au monde. Après avoir accueilli à bras ouverts les migrants européens fuyant la guerre, la misère et la famine au cours du XXe siècle, il a traduit dans sa législation des principes forts d’accueil et de solidarité internationale.
Nombre de Français·es résidant aujourd’hui au Brésil ont été naturalisé·es brésilien·nes avec des égards qui ne sont pas imaginables en France. Nous, Français·es résidant au Brésil, ne connaîtrons jamais le quotidien inhumain que vivent les milliers de sans-papier en France qui réclament la régularisation de la force de travail qu’ils bradent depuis trop longtemps aux employeurs français. Nous avons honte de constater que notre pays se refuse d’accueillir nos semblables en France aussi dignement que nous l’avons été ici.
Il ne s’agit pas de crises migratoires mondiales mais d’une crise mondiale de l’accueil des personnes victimes des guerres, des famines et des catastrophes naturelles, des personnes dont le droit à la vie (et d’une vie digne !) est constamment bafoué. Les politiques migratoires françaises se sont transformées en politiques de sélection inhumaines. La loi immigration déshonore les valeurs universalistes de notre pays que vous aimez tant vanter lors de vos déplacements à l’étranger. Aucune panthéonisation, aussi louable soit-elle, ne nous le fera oublier.
Palestine ou l’urgente reconnaissance d’un génocide
Nous espérons que votre rencontre avec le Président de la République fédérative du Brésil, Luiz Lula da Silva, contribuera à faire évoluer votre position sur ce que la Cour internationale de Justice de La Haye définit comme un risque plausible de génocide de la population palestinienne à Gaza. Contrairement à vous, Lula a clairement affirmé « qu’Israël pratique une punition collective dans la bande de Gaza » et qu’il était « urgent d’arrêter ce carnage au nom de la survie de l’Humanité ».
Appeler à un cessez-le-feu et à une hypothétique solution à deux États (dont un qui sera devenu un champ de ruines et de cadavres) n’est pas à la hauteur de l’urgence. Continuer de mettre au même niveau de gravité les attentats criminels du Hamas et la destruction de la bande de Gaza par Israël n’est pas tolérable. Le droit d’Israël à se défendre contre les attaques du Hamas, que continue de reconnaître la France, justifie-t-il encore les 31 988 morts et 74 188 blessés dans une enclave palestinienne aux infrastructures durablement dévastées et déjà ravagées par la famine et les épidémies ? Soyez le Président de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et pas celui du soutien tacite à la guerre.
Accord UE-Mercosul : ne changez pas votre position
Comme vous le savez, monsieur le Président, en France et au Brésil, l’économie paysanne, formée par des familles engagées dans une production alimentaire durable et locale, indispensable à la sécurité alimentaire et à la préservation de l’environnement, est foncièrement menacée par l’accord UE-Mercosur. Cet accord de libre-échange condamne l’essor de l’agroécologie qui, seule, peut faire vivre les territoires en rémunérant dignement le travail paysan et les communautés traditionnelles dans les deux pays et ailleurs. Il faut dépasser la problématique de la réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux qui ne profitent qu’aux géants de l’agrobusiness. Ceux-ci sont les responsables majeurs du réchauffement climatique et de la financiarisation de la terre, qui se transforme en actif au détriment de la dignité de tous ceux et celles qui se battent pour garantir des systèmes alimentaires sains et divers, socle d’un avenir aujourd’hui menacé.
Monsieur le Président de la République, nous vous remercions de l’attention que vous portez à nos positions et demandes, en espérant un retour de votre part et de réels engagements envers les Français·es de l’étranger.
Représentant le mandat collectif consulaire Traits-d’Union (2e et 3° circonscriptions du Brésil) mandatcollectif@traits-dunion.com.br | www.traits-dunion.com.br :
Mélanie Montinard, conseillère des Français·es de l’étranger, Présidente du conseil consulaire et membre du conseil d’administration de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE),
Tulio Matencio, conseiller des Français·es de l’Étranger,
Frédéric Laplace, conseiller des Français·es de l’Étranger.
Représentant la 1° circonscription du Brésil :
Julie Cavignac, conseillère des Français·es de l’étranger,
Jean François Deluchey, conseiller des Français·es de l’Étranger.
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